Le Rituel des Cendres a été élaboré lors d'une résidence à Goersdorf, c'est le travail d'un partenariat entre l'Insitu Lab dans lequel j'étudie et la commune de Goersdorf. A travers la création d'un rituel nous avons essayé de ranimer le centre d'un village.
Quatre sorcières
Nous sommes Armand, Margaux, Léa et Laelia, quatre designers qui se sont improvisés sorcières. Nous réinterprétons notre propre sabbat : à l’origine, c’était une fête païenne célébrée la nuit dans une clairière ou un endroit remarquable. Les sabbats ont été décrits par les détracteurs des sorcières, si bien qu’aujourd’hui nous pouvons douter de la réalité de ceux-ci (1).
(1) DU CHÉNÉ, Céline. Les Sorcières, une histoire de femmes, Michel Lafon, 2019. 189 p.
Le rituel des cendres
Le rituel des cendres est un temps de communion et d’introspection pour les Goersdorfois.es, invités à laisser derrière eux ce à quoi iels renoncent (une mauvaise habitude, un adieu à matérialiser…). Celui-ci est célébré lors de la première pleine lune de l’année.
À la tombée de la nuit, les participantes (2) avancent en procession silencieuse jusqu’au feu. Elles se placent en cercle autour et la guide dispose une traînée de sel autour du groupe pour le protéger.
À présent, le rituel peut commencer. Une première personne s’avance et se place derrière un autel rudimentaire, en bois noirci, faisant face au feu. Elle prend un morceau de papier, écrit son renoncement au fusain. Elle prononce la phrase rituelle : “Je réduis en cendres ce à quoi je renonce”. Elle s’approche ensuite des flammes oranges qui brûlent dans un cratère en terre crue. Elle prend la pique, y fixe le papier, le trempe dans un liquide vert puis le brûle. Une flamme verte apparaît peu à peu, s’intensifie et consume le papier. La personne reprend sa place dans le cercle. Celle située à sa droite répète les mêmes gestes, et ainsi de suite jusqu’à la dernière participante. L’enchaînement de ces déplacements se fait dans le sens antihoraire. Enfin, la guide prend un balai, disperse le cercle de sel et les participantes se retirent.
(2) Nous écrirons maintenant au féminin car nous estimons que tou.s.tes jouent à être des sorcières. Nous tenons également, à la lumière de l’héritage historique des sorcières, à conserver le mot au féminin. Et si cela vous pique un peu, vous pouvez toujours considérer que ce jour-là, nous étions plus de femmes que d’hommes à pratiquer le rituel. Et si cela ne vous convient toujours pas, vous pouvez toujours vous plaindre que, décidément, de nos jours, on ne peut plus rien dire.



Ce que te fait le feu
Le premier janvier, comme chaque année, nous prenons de nouvelles résolutions. Mais les lois de l’équilibre voudraient que nous abandonnons aussi quelque chose. Lors de la première pleine lune de janvier, quand l’univers sera propice à la fin d’un cycle et à la renaissance, quand il portera la protection et la féminité, nous pouvons nous détacher de ce qui nous pèse pendant le Rituel des cendres (3). Il faudra alors partir en groupes, monter la colline en se remémorant nos ancêtres sorcières, se placer autour du feu en marchant dans le sens antihoraire — en sorcellerie cela permet de retirer quelque chose, contrairement au sens horaire qui renforce. Puis nous nous protégerons du reste du monde avec un cercle de sel. Pas d’inquiétude, c’est de la magie blanche, le sel repousse les mauvais esprits. Chacune cherchera au fond de soi… sur un papier tu laisseras une part de toi. Tu diras haut et fort : « Je réduis en cendre ce à quoi je renonce ». Tu te rapprocheras du cratère et des flammes qui en sortiront, tu voudras détruire ce papier à tout prix. Sous le regard des autres sorcières, ton papier brûlera de nuances vertes, d’abord timidement, puis plus intensément. Baignée de la couleur de l’espoir (4) et sentant la sorcellerie sceller ton futur, tu seras surprise par l’intensité de ton désir de voir tout s’enflammer haut et fort. Quand toutes auront été incantées, l’une d’entre nous balaiera et brisera le cercle de sel. Nous en sortirons en suivant le sens horaire, soudant ainsi nos liens entre sorcières mais aussi notre confiance en l’avenir. Nous pourrons alors descendre la colline.
(3) Les cendres sont synonymes de résurrection. La figure du phoenix qui renaît de ses cendres est une image forte qui nous vient de la mythologie grecque. Plus terre à terre, les jardiniers utilisent parfois la cendre comme fertilisant.
(4) Le vert est souvent associé à la magie et aux sorcières : nous pouvons évoquer les marmites de potion, les sorts jetés par les sorcières, la couleur des effets spéciaux au cinéma.
Toutes des sorcières
Nous proposons des adaptations de ce rituel à différents contextes. Les braises et le cratère central peuvent être simplement remplacés par une bougie, une chandelle ou un feu de cheminée. Ainsi, le rituel peut être célébré seul ou à plusieurs. Le liquide vert (il s’agit, en vérité, de chlorure de cuivre dihydraté et dilué dans l’eau) peut être remplacé par un autre élément de la même couleur. Le vert, symbole d’espoir, pourra apparaître sur un vêtement porté, par la couleur du crayon utilisé ou encore par celle d’un bougeoir. De la même manière, la protection de sel peut être simplement le jet d’une pincée derrière l’épaule gauche — la gauche est historiquement associée au Malin, le sel sert à l’éloigner. Chacun.e transposera ainsi le rituel à sa manière. L’essentiel est de garder l’esprit du renoncement et de la promesse que l’on se fait à soi-même le soir de la pleine lune de janvier.